Nouvelles

Exercice d'écriture : la consigne était de commencer la nouvelle par l'incipit "Aujourd'hui c'est samedi. Le CROUS est fermé, mais j'ai faim. Très faim."
 
 
    Aujourd'hui c'est samedi. Le CROUS est fermé, mais j'ai faim. Très faim. Je marche, hagard, dans la rue. Je me sens mal, très mal. Je dois trouver un autre endroit où acheter à manger. Je n’ai plus assez d’argent pour aller faire des courses ce mois-ci, j’ai transféré tout ce qu’il me restait sur ma carte Izly. Ma carte Izly. Inutile. Je vois passer des gens, ils n’ont pas l’air d’avoir faim, eux. Je ne sais pas pourquoi, quelque chose m’agace en eux. Ce sont des faibles, oui c’est ça, des faibles. Ils ont des manières de faibles de se comporter, de marcher, de parler. Allons, je dis n’importe quoi. Pourquoi seraient-ils faibles, eux ? C’est moi qui suis mort de faim et faible comme une brindille. Et je suis pâle comme du linge, selon ce petit bout de miroir qui traîne par terre au coin de la rue ; je me suis même fait peur à moi-même. Ma pâleur est presque surnaturelle. Continuons d’avancer, je trouverai bien quelque chose. Enfin j’espère. Je tourne au bout de la rue. Puis je m’arrête. J’attends. Qu’est-ce que j’attends ? Je ne sais pas, une idée sûrement. Mais cette fille, pourquoi me regarde-t-elle comme ça, avec son air effrayé ? Est-ce que ça se voit tant que ça que je ne vais pas bien ? Mais elle va arrêter de me dévisager ? Je vais lui faire la leçon, moi, tiens. Je m’approche. Elle part en courant. NON, tu restes là ! Je me sens bondir, aussi léger qu’une plume. La sensation est agréable. J’atterris sur elle et la renverse violemment. Sa tête cogne contre le sol et quelques gouttes, non une flaque, non une mare de SANG se répand sur le sol. Elle est morte, je le sens. J’ai faim, très faim. A pleines dents je lui arrache un bras. Huuum, je fais, OH C’EST SI BON !!! Et cette odeur, oui cette odeur de sang, si parfumé… Je me délecte de son sang comme d’un doux nectar, je ne peux plus m’arrêter, c’est si BON ! Encore, ENCORE ! OUIII, du sang, du SAAANG ! Ah… et cette chair est si tendre, si JUTEUSE, si moelleuse,… AH. Je sens le sang se répandre dans ma bouche à chaque bouchée. Si bon… pourquoi n’a-t-on pas ça au RU ? C’est meilleur que les frites, ce sanggg… attends, quoi ? J’ai dit quoi là ? Ce SANG ? OH MON DIEU, c’est vraiment un bras que j’ai dans ma bouche ??? Je ne comprends plus rien, qu’est-ce qu’il se passe ? Tout ce sang, je ne comprends pas… Il y en a tellement qu’il fait une mare sur le sol. Une mare dans laquelle je vois… je v… ce n’est pas mon reflet que je vois dans la mare de sang. C’est... un loup que je vois.

 

Alexandre BARROS

 

    Il était là. Simplement là. Allongé sur le ventre, écoutant le doux clapotis des vagues. Nous étions seuls sur cette plage, en plein été. Quelques arbres ombrageaient de ci, de là. Il était allongé et le soleil se frayait un chemin sur sa joue, entre les ombres des feuilles. Jamais il ne m’avait paru plus tranquille, plus apaisé. Ses paupières frétillaient par moment. Il rêvait.

    La journée avait été épuisante. Certes, nous avions passé toute la journée sur cette plage, mais les vagues n’avaient pas été aussi calme qu’à cet instant. Têtu comme il est, il avait insisté pour aller se baigner alors que de grandes vagues s’accumulaient. Des vagues bien plus grandes que lui, mais son jeu consistait à sauter dans celle-ci. Quoi de plus amusant à son âge ? Je m’étais efforcé de rester avec lui bien que ces vagues me faisaient un peu peur. Je ne voulais pas le laisser seul dans cet immense océan, il me fallait le surveiller, voir que tout allait bien.

    Une fois repu de ses sauts infatigables, il accepta finalement de sortir de l’eau. Nous nous allongeâmes sous les arbres et presque instantanément, il s’endormit paisiblement. D’une main tendre je lui caressais le visage. Quelle chance j’avais de l’avoir dans ma vie, car oui, il n’avait pas toujours été avec nous. Elle et moi l’attendions depuis longtemps, si longtemps que nous ne pensions jamais enfin le rencontrer. Mais un beau jour, par un concours de circonstances, il put enfin entrer dans nos vies.

    Je profitais de chaque moment avec lui. Toujours endormi, il remua un peu et poussa un grognement. Sans doute avait-il rêvé de quelque chose de déplaisant. Je continuais alors de passer ma main sur sa tête, espérant l’apaiser mais il se réveilla. Un peu dans les vapes, il me regarda, me reconnut et battit de la queue. Il aboya doucement, c’était son truc pour me signifier qu’il était prêt à rentrer. Nous nous levâmes et partîmes, lui trottinant à mes côtés et elle me tenant la main.



Laure Ricochon

Nous y sommes. Les strapontins se remplissent petit à petit, des murmures, des chuchotements ; quelques voix s’élèvent pour se raconter leur journée. On peut voir sur les dossiers des carrés Hermès, des sacs Longchamp ou des cartables de lycéens. Enfin, le silence s’installe lorsque s’éteignent les lumières, quelques toussotements subsistent encore dans les derniers instants qui le permettent. Comme à l’accoutumée, trois coups de tonnerre retentissent. Le calme, avant la tempête. Instinctivement tout le monde retient son souffle, je crois. Tout peut commencer d’un instant à l’autre, et pour les connaisseurs avisés comme pour les plus curieux, l’attention est à son paroxysme.

L’histoire se déroule donc sous nos yeux, si bien que nous oublions presque où nous sommes et même la raison de notre venue. Tout notre être est maintenant concentré sur la scène : nos oreilles boivent les paroles d’un Léandre en doudoune, nos yeux suivent les dessins projetés de Candide, et la peau frissonne sous les envols des oiseaux palestiniens.

De l’œuvre la plus classique à la plus contemporaine, de la plus révoltée à la plus conventionnelle, nous regardons, hypnotisés. Peu importe l’âge, le genre, le métier, tout le monde est assis au même endroit, regarde la même chose, au même moment. Et lorsque les premiers applaudissements retentissent, ceux qui sont sur les planches ne sont pas les seuls galvanisés. D’une seule voix, une masse hétéroclite remercie le voyage dans lequel elle a été portée. Plaute l’avait pourtant décrit, Corneille l’a vécu grâce à Rodrigue ; et moi, je me demande encore où se place le spectacle.

 

Les images sont ainsi gravées dans la rétine, les questionnements bourdonnent, les remarques fusent et sont perceptibles jusque dans la rue. Le silence retombe et chacun rentre chez soi. Rideau.

 

'Raconte-moi Noël !'

Un arbre pas comme les autres

Troubadour du XXIème siècle

 

Elsass 1 XVIème siècle, dans mon petit village de Nurodeim, village très paisible entouré de champs et d'une large forêt, qui fut bâti des siècles auparavant. J'y vivais depuis ma naissance avec ma famille. D'ailleurs, les Müller faisaient partie de ceux qui avaient fondé Nurodeim. Je me prénomme Walter Müller, fils d’Aloyse (premier du nom) Müller, bûcheron et fermier. J'avais repris son affaire à sa mort et fondé dans la continuité ma petite famille. J'avais épousé la merveilleuse Adelaïde Becker, fille du boulanger du village et nous avions donné naissance à trois beaux enfants. La première fut Katel, une belle blonde aux yeux clairs, comme sa mère, et au cœur aussi pur qu'un diamant brut. Le deuxième à naître fut mon Aloyse, mon unique fils, nommé ainsi en l'honneur de son grand-père. Il était extrêmement intelligent et aimait énormément la nature. Il était très rêveur, même un peu trop. Et la petite dernière, ma jolie Ilda, pleine d'énergie et de malice. Nous vivions tous les cinq dans la paix et la tranquillité, au sein de notre jolie petite maison à moins de deux kilomètres du village. Aucun habitant du village ne nous avait causé d'ennui, jusqu'au jour du réveillon de Noël de l'an 1560. Année très importante pour Nurodeim. Mais laissez-moi vous raconter tout cela en détails…

        Nous étions le 21 décembre 1560, à quelques jours du réveillon. Ce matin-là, je m'étais levé de bonne heure pour aller quérir du bois dans la forêt : c’était pour madame Frank, la doyenne de Nurodeim, et sa fille. Je décidai d'emmener mon fils Aloyse pour lui montrer le métier de bûcheron. Je le cherchai partout dans la maison mais il n'y était pas. Il se trouvait dehors, assis sur la barrière de l'enclos des chevaux et il scrutait l'horizon. En somme, il était encore en train de rêver.

- Aloyse ! Lui lançai-je. Que fais-tu ici tout seul ?
 
- Papa, je regarde le lointain horizon. Qu'est-ce qu'il y a au bout de l'horizon, papa ?

- Je... je ne sais pas mon fils…

- Moi, je pense qu'il y a sûrement un nouveau monde, un endroit magique que personne n'a encore exploré. Tu sais papa, un jour, je partirai et je découvrirai ce qui se cache derrière l'horizon !

- C'est très bien mon fils ! Mais en attendant viens avec moi, je vais te montrer comment je travaille.

        Il me suivit tout sourire. Ce pauvre enfant n'avait que 11 ans, il ne savait rien de la vie et il voulait quitter la maison pour aller nulle part.

        Nous arrivâmes dans la clairière où je stockais le bois. Je comptais prendre les bûches que j'avais déjà préparées mais malheureusement, je n'en avais plus une seule. C'était l'occasion en or de montrer à Aloyse comment on coupe un arbre et comment on en fait des bûches. Nous nous approchâmes ainsi d'un bel arbre au tronc large. Aloyse se tenait debout à côté de moi et il me regardait brandir ma hache et l'enfoncer dans le bois. Cela dura cinq minutes avant que je ne m'aperçoive qu'il n'était plus là.

        En effet, Aloyse était parti se promener un peu plus loin, dans la forêt. Il était subjugué par la beauté de la nature, recouverte de son délicat manteau de neige. Il aimait beaucoup la neige. Pour lui, on ne pouvait trouver plus pure chose au monde. Tout en s'amusant à faire des anges de neige et des boules de neige, Aloyse s'enfonçait de plus en plus dans le bois. Très vite, il perdit sa route. Il se rendit alors compte qu'il s'était trop éloigné de la clairière.

        Il essaya de rebrousser chemin mais en vain. Il ne savait plus où aller. Il avait perdu ses traces de pas et ses anges de neige, les seuls moyens pour lui de me retrouver. Il eut l'impression de tourner en rond. La panique le prit aux jambes. Il essaya même de m'appeler mais j'étais bien trop loin. Et au moment où des larmes commencèrent à couler sur ses joues rondes et rosies par le froid, apparut devant ses yeux de grenouille un petit sentier entouré de petits sapins qui le longeaient. Aloyse se ressaisit et emprunta cette allée mystérieuse.

        La neige tomba soudainement et plus le jeune garçon marchait, plus il entendait des sortes de murmures doux et angéliques. C'était comme si quelqu'un lui chantait une tendre berceuse. « Peut-être des anges », se dit-il. Il arriva enfin au bout du sentier, duquel il vit se dresser devant lui le plus grand, le plus beau, le plus noble, le plus scintillant des sapins qu'il n'eut jamais vu. Il n'en croyait pas ses yeux, il en tomba à terre tellement il était majestueux. Il aurait pu le confondre avec un Roi. Il remarqua que les murmures qu'il percevait depuis quelques instants s'étaient un peu plus amplifiés. C'était un curieux chant qu'il écoutait, qu’il avait même du mal à comprendre.

        Il tenta alors de décrypter ces murmures, néanmoins ma voix les fit disparaître. En effet, cela faisait une bonne demi-heure que je cherchais Aloyse partout, lorsque par hasard, je tombai également sur le sentier où je vis les empreintes de mon fils. Quand je le vis enfin, je lui lançai :

- Aloyse ! Te voilà enfin ! ça fait maintenant presque une heure que je te…

        Je ne pus finir ma phrase. J'avais devant moi le plus beau spécimen de sapin jamais vu au monde. J'étais sur le point de me prosterner devant sa majesté, mais je me rappelai qu'il était l'heure de rentrer.

- Aloyse viens, on doit rentrer. Ta mère et tes sœurs nous attendent.

- Pas si vite Papa, laisse-moi le temps de le regarder encore.

- Non, nous devons rentrer.

        Je pris Aloyse dans mes bras et le portai jusqu'à la clairière. Une fois arrivés à la maison et mis à table, il nous raconta la découverte du grand sapin et de ces petites voix célestes qu'il avait entendues.

« Tu nous racontes des balivernes, Aloyse ! S'enquit Katel. Pourquoi des anges te guideraient vers un sapin ?

- C'est la vérité ! Papa, dis-lui que c'est vrai !

- Le sapin est vrai. Je te l'assure Adelaïde, ce sapin est vraiment incroyable ! Mais pour les «anges», je suis navré mon fils je n'ai rien ouï de tel.

- Je vous l'assure ! Elles étaient là ! Elles chantaient ! C'était comment déjà ? Ah oui, Mon beau...

- Maintenant ça suffit Aloyse ! Hurlai-je. Je commence à en avoir assez de toutes tes histoires et de tes rêveries. Il est temps que tu grandisses un peu et que tu mûrisses. File dans ta chambre, je ne veux plus que tu y bouges jusqu'à demain. »

        En pleurant, il obéit sans discuter.

        Cette nuit-là, Aloyse rêva du sapin, seulement ce n'était pas un rêve comme les autres. Il était à nouveau devant le sapin et les voix d'anges étaient revenues. Il ne comprenait pas ce qu'elles disaient. Et puis, une lueur étrange l'éblouit brutalement. Cette lumière provenait du sapin. Il était orné de milliers de petites bougies ainsi que des guirlandes aux couleurs différentes. Il pendait aussi des branches, des sucreries dont il raffolait. Et enfin, au sommet de l'arbre, se trouvait une gigantesque étoile d'un bleu foudroyant. Elle lui faisait penser à l'étoile de Bethléem qui rayonnait ainsi le soir où le Christ naquit. Pour ses petits yeux, c'était un spectacle fabuleux. Il n'avait jamais vu ça auparavant. Un tel sapin n'était pas courant. Il voulut s'approcher de lui et plus il avançait, plus les paroles célestes devenaient claires. Elles chantaient. Elles prononçaient une chanson sur le sapin. Bientôt Aloyse se mit à la fredonner en cœur avec les anges. Et puis ce fut le noir complet. Le jeune garçon se réveilla alors en sursaut de sa couche. C'était le matin. Nous étions le 23 décembre.

En ce beau jour neigeux, je me rendis au village pour apporter du bois aux voisins qui me l'avaient demandé, mais aussi pour faire l'achat de quelques provisions pour le réveillon. J'emmenai Ilda et Aloyse. J'eus la curieuse impression que mon jeune fils broyait du noir ce matin-là. Il ne voulait rien me dire, cela le perturbait trop pour en parler. Ilda se moqua de lui et ils finirent tous les deux par se disputer, une fois de plus.

« Cela suffit ! Criai-je. J 'en ai assez de vos chamailleries ! Tous les jours vous nous rendez dingues votre mère et moi ! Ilda, nous arrivons au village : va faire les commissions. Aloyse, tu me suis. On se retrouve sur la grande place dans une heure. »

        Ilda s'en alla tout en grognant et Aloyse se tut, me suivant la tête baissée. Nous arrivâmes devant chez Monsieur le maire, Maïer. Il nous invita à prendre le petit-déjeuner. Je ne pus refuser son invitation. Durant ce plaisant moment, je racontais au maire ma découverte de la veille. Il en fut abasourdi. Jamais il n'avait entendu parler d'un tel sapin. Je lui parlai également de mon ambition de l'abattre pour ainsi en faire des bûches pour tout le village et même pour les donner à notre seigneur le Duc. Il semblait conquis. Aloyse intervint soudainement, horrifié.

« Papa, tu ne peux pas l'abattre !

- Et Pourquoi, Aloyse ?

- C'est le sapin de notre Seigneur tout-puissant !

- Mais qu'est-ce que tu nous racontes encore ?

- C'est l'arbre de Jésus ! »

        Nous nous jetâmes, le maire et moi-même, un regard incrédule.

« Que veux-tu dire par là petit ? Demanda Monsieur Maïer.

- Je l'ai vu ! Il était devant moi !

- Notre Seigneur Jésus ? Demandai-je à mon tour.

- Oui... Enfin non... Je voulais dire le sapin. Le sapin l'incarnait. Tu l’aurais vu, Papa : il était vêtu de milliers de bougies et de guirlandes, mais aussi de bonbons et tout en haut, il y avait l'étoile de Bethléem !

- Tu es devenu complètement fou mon pauvre enfant. Répondis-je. Tu ne sais pas faire la différence entre un rêve et la réalité ?

- Si bien sûr mais...

- Alors tu devrais savoir qu'un sapin habillé de bougies, de bonbons, et de guirlandes n'existe pas ! »

        Aloyse était au bord des larmes. Il voyait bien que personne ne le croyait. Il s'en alla alors en courant, comme un fou. Je lui criai de revenir mais ne le voyant pas rebrousser chemin, je me mis à sa poursuite. Je le retrouvai assis dans l'église avec le pasteur Zimmermann. Ils semblaient en grande discussion. Aloyse racontait au pasteur son rêve. Ce dernier buvait ses paroles tandis que je m'approchais lentement d'eux. Mon jeune fils se tut en me regardant. Le pasteur me prit à part et m'expliqua la situation.

« Mon cher Walter. Disons-le : Votre fils a eu une vision, une vision de notre seigneur Jésus-Christ. »

        Je le fixais avec incompréhension. Pourquoi le Christ serait venu voir Aloyse dans ses rêves pour lui parler d'un sapin ? Le pasteur n'avait pas la réponse à mon interrogation. Il me demanda toutefois de lui montrer ce fameux sapin afin de discerner cette soudaine apparition du Christ.

        C’est ainsi que nous partîmes, Aloyse, le pasteur et moi, dans la forêt. Nous retrouvâmes le petit sentier qui conduisait au sapin ; le pasteur Zimmermann passa devant nous. A son tour, il se mit à entendre de drôles de chants. Pour un homme d’Eglise, cela lui paraissait particulièrement étrange et quelque peu effrayant. Aloyse le rassura en lui disant que ce n'était que des petits anges. Il n'était pas convaincu. Et puis, il vit l'arbre. Lui aussi l'effraya par sa hauteur anormalement grande. Ses jambes tremblaient non pas de froid mais à cause de l’arbre gigantesque qui se trouvait devant lui. Il se retourna vers nous en nous balbutiant :

« Cet arbre... c'est une création venue tout droit de Lucifer ! Il faut l'abattre ! »

        Et il s'enfuit, détalant comme si le Diable lui-même était à ses trousses. Nous rentrâmes à la maison. Aloyse était meurtri et inconsolable. Il monta directement dans sa chambre, et n'en sortit sous aucun prétexte. Adelaïde essaya de lui donner à manger mais il refusa en vain.

        Ce même soir, le Pasteur Zimmermann ne s'était toujours pas remis de sa vision diabolique. Il n'arrivait pas à trouver le sommeil, mais lorsqu’il réussit enfin à s'endormir, il rêva à son tour du sapin géant. Il était devant ce dernier, tout orné de bougies, de guirlandes et avec l'étoile de Bethléem en sa cime. Il se dit que ce n'était pas croyable, cela ne pouvait être le même sapin qu'il avait vu. Les voix d'anges s'amplifiaient. Un chant, c'était un chant. Et enfin, il entendit une deuxième voix et une lueur céleste apparue.

24 décembre, veille de Noël. Personne ne travaillait en ce jour. Adelaïde se leva comme tous les matins pour préparer le petit-déjeuner et soudain, on frappa à la porte. C'était monsieur le maire ainsi que le boucher Metzger, le tailleur Zieger et tous les autres membres importants du village. Ils étaient tous hystériques. Je me levai à mon tour et je me précipitai pour aider ma femme.

« Que se passe-t-il, mes amis ? Demandai-je, inquiet.

- Ce qui se passe ? Tu dois bien le savoir ! Hurla Metzger. Le pasteur nous a tout raconté ! C'est vrai que tu caches un sapin du démon ?

- Bien sûr que non ! Déjà, je ne le cache pas, et ensuite ce n'est pas un sapin du démon.

- Alors pourquoi Zimmermann pense le contraire ? Questionna Zieger.

- Je ne sais pas...

- Et pourquoi tu ne l'as pas coupé ? Continua Metzger.

- On se calme. Je comptais le faire mais... »

        Et Aloyse se rua à mes côtés, quittant sa couchette.

« Il ne faut pas l'abattre ! S'égosilla-t-il. Ce n'est pas le sapin du démon, c'est le sapin de Noël !

- Noël ? Dirent en cœur les villageois.

- Oui. C'est Jésus lui-même qui me l'a dit. Il m'a expliqué que ce sapin était là pour qu'on puisse mieux commémorer le jour de sa naissance. On doit l'habiller de bougies et de guirlandes, ainsi que d'une étoile tout en haut de l'arbre symbolisant l’Étoile de Bethléem.

- AHAHA ! S’esclaffèrent le boucher, le tailleur ainsi que tous les autres.

- Je vous l'assure... Papa, c'est la vérité n'est-ce pas ? Tu étais pourtant là avec moi.

- Aloyse... fiston, tout ce que tu dis, je ne l'ai pas vécu...

- Et bien si c'est comme ça, je vais vous prouver à tous que c'est la vérité ! »

           

        Aloyse chaussa ses bottes, enfila son manteau et se dirigea vers la forêt. Les villageois, toujours hilares, le suivirent. Nous partîmes un peu après, ma femme, mes filles et moi.

        Ils traversèrent le bois, puis la clairière et enfin ils empruntèrent le sentier. L'arbre n'était plus là. Le jeune garçon ne savait plus quoi dire. Il ne comprenait pas ce qu'il venait de se produire. Les villageois rirent à plein poumon.

        Ils se moquèrent de mon fils et du pasteur qui, selon eux, était devenu complètement fou. Et ils rentrèrent chez eux. Nous arrivâmes par la suite. Aloyse était accroupi dans la neige, les larmes aux yeux. Quand je vis à mon tour que le sapin n'était plus à sa place, je crus moi aussi être pris de démence. Je pris mon garçon dans mes bras et nous rentrâmes.

        Aloyse passait le pire réveillon de sa vie. La nuit était tombée, Adelaïde nous avait mijoté un excellent dîner. Nous mangeâmes une dinde bien charnue que j'avais chassée dans l'après-midi, accompagnée de délicieux champignons et de fondantes pommes de terre rôties. Et au moment du bénédicité, quelqu'un frappa à notre porte, pour la deuxième fois aujourd'hui. C'était à nouveau Metzger et Zieger. Ils étaient tous affolés. Ils nous priaient de les suivre sur le champ : quelque chose d'incroyable venait de se produire sur la place du village. Que se passait-il encore ? Nous les suivîmes ainsi jusqu'au village et une fois sur la place, dans le bourg, nous vîmes, planté en plein milieu, le gigantesque sapin de la forêt. Euphorique, Aloyse se précipita vers lui.

« Vous voyez bien que je ne vous avais pas raconté d'histoires, disait-il aux villageois.

- Pardonne-moi, mon fils. »

        Il me regarda et me lança un grand sourire. Nous nous enlaçâmes. Le pasteur arriva ensuite.

« Tu avais raison Aloyse. Cet arbre est bien celui prédestiné par le Christ. Je l'ai vu la nuit dernière, comme toi, j'ai fait le même rêve et je suis convaincu à présent. Mesdames et Messieurs, voici l'arbre de Noël ! »

        Tous applaudirent ce miracle de Noël. Tous les villageois se rassemblèrent autour du sapin et, simultanément, l'étoile se mit à briller et des petites voix se mirent à chanter. Aloyse les reconnut et cette fois-ci, tout le monde les entendait. Il commença alors à chanter, et le reste du village, ainsi que nous, le suivîmes.

Mon beau sapin, roi des forêts,

que j'aime ta verdure.

Quand par l'hiver, bois et guérets

sont dépouillés, de leurs attraits.

Mon beau sapin, roi des forêts,

tu gardes ta parure.

Toi que Noël, planta chez nous,

au saint anniversaire.

Joli sapin, comme ils sont doux

et tes bonbons, et tes joujoux.

Toi que Noël, planta chez nous,

tout brillant de lumière.

Mon beau sapin, tes verts sommets

et leur fidèle ombrage.

De la foi qui ne ment jamais,

de la constance et de la paix.

Mon beau sapin, tes verts sommets,

m'offrent la douce image.

        Et depuis cette nuit du 24 décembre 1560, dans notre village, nous célébrons Noël avec un sapin que nous coupons et que nous parons pour l'occasion.


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1 Alsace