Nous y sommes. Les strapontins se remplissent petit à petit, des murmures, des chuchotements ; quelques voix s’élèvent pour se raconter leur journée. On peut voir sur les dossiers des carrés Hermès, des sacs Longchamp ou des cartables de lycéens. Enfin, le silence s’installe lorsque s’éteignent les lumières, quelques toussotements subsistent encore dans les derniers instants qui le permettent. Comme à l’accoutumée, trois coups de tonnerre retentissent. Le calme, avant la tempête. Instinctivement tout le monde retient son souffle, je crois. Tout peut commencer d’un instant à l’autre, et pour les connaisseurs avisés comme pour les plus curieux, l’attention est à son paroxysme.

L’histoire se déroule donc sous nos yeux, si bien que nous oublions presque où nous sommes et même la raison de notre venue. Tout notre être est maintenant concentré sur la scène : nos oreilles boivent les paroles d’un Léandre en doudoune, nos yeux suivent les dessins projetés de Candide, et la peau frissonne sous les envols des oiseaux palestiniens.

De l’œuvre la plus classique à la plus contemporaine, de la plus révoltée à la plus conventionnelle, nous regardons, hypnotisés. Peu importe l’âge, le genre, le métier, tout le monde est assis au même endroit, regarde la même chose, au même moment. Et lorsque les premiers applaudissements retentissent, ceux qui sont sur les planches ne sont pas les seuls galvanisés. D’une seule voix, une masse hétéroclite remercie le voyage dans lequel elle a été portée. Plaute l’avait pourtant décrit, Corneille l’a vécu grâce à Rodrigue ; et moi, je me demande encore où se place le spectacle.

 

Les images sont ainsi gravées dans la rétine, les questionnements bourdonnent, les remarques fusent et sont perceptibles jusque dans la rue. Le silence retombe et chacun rentre chez soi. Rideau.